Kayenat Kabir, Ph. D., conseillère principale en matière de climat, FinDev Canada
Cet article de blogue présente les éléments clés de l’approche de FinDev Canada en matière de risques climatiques physiques, les raisons pour lesquelles cette approche est importante pour nos activités, ainsi que la direction que nous souhaitons prendre, dans l’espoir qu’il suscitera un dialogue et un échange de connaissances.
2024 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée. En Alberta, au Canada, des feux de forêt ont dévasté plus de 700 000 hectares, jusque dans le parc national de Jasper, célèbre dans le monde entier. Les changements climatiques sont une réalité déterminante de notre époque, et entraînent une série de risques physiques, que ce soit la multiplication de phénomènes dramatiques comme des inondations, des ouragans et des incendies de forêt (risques aigus), ou encore la transformation à plus long terme des modèles climatiques, par exemple l’évolution des températures et des précipitations (risques chroniques).
Ces risques climatiques physiques ont des conséquences financières importantes pour les organisations, par exemple en endommageant directement les actifs ou en perturbant de façon indirecte la chaîne d’approvisionnement. En 2022, les inondations au Pakistan ont donné lieu à des prêts non productifs d’une valeur estimée à 392 millions de dollars américains, et ont causé 2,8 millions de dollars américains en dommages aux infrastructures physiques des seuls secteurs de la banque et de la microfinance.
Figure 1 (image disponible en anglais seulement) : Risques, opportunités et impacts financiers liés au climat; le Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC) a identifié quatre grandes catégories par l’intermédiaire desquelles les risques et les opportunités liés au climat peuvent affecter la situation financière courante et future des organisations, à savoir les revenus, les dépenses, les actifs et les passifs, ainsi que le capital et le financement. Source : GIFCC, 2017, pp. 8-9.
Malgré les conséquences financières éventuelles des risques climatiques physiques, une étude du World Resources Institute (WRI) et de l’Initiative financière du programme des Nations unies pour l’environnement a révélé que moins de la moitié des institutions financières sondées analysent les risques physiques dans leurs déclarations liées au climat. Parmi les banques sondées, moins de 20 % évaluent l’impact des scénarios climatiques physiques sur leurs activités.
La bonne nouvelle, c’est qu’un nombre croissant d’institutions financières de développement (IFD) et leurs clients évaluent les risques climatiques physiques, et que des regroupements collaboratifs comme l’Adaptation and Resilience Collaborative (ARIC) s’efforcent d’harmoniser les méthodes.
Les risques en détail
Pour bien comprendre, commençons par décomposer les risques physiques, qui sont généralement évalués sur la base de trois éléments :
Aléa : Ce qui peut causer des dommages, comme les inondations, les ouragans, les sécheresses et les variations de température.
Exposition : Ce qui est exposé à l’aléa et qui peut être endommagé, comme les bâtiments, les personnes et les cultures.
Vulnérabilité : La sensibilité de ces éléments aux dommages, par exemple la résistance d’une culture à la sécheresse.
Prenons le cas d’une institution financière (IF) qui a accordé un prêt à une entreprise agricole primaire. En cas de sécheresse, il pourrait y avoir une baisse de rendement ou une mauvaise récolte, ce qui affecterait le rendement financier de l’entreprise et constituerait un risque de crédit (la possibilité qu’un emprunteur ne puisse pas remplir ses obligations financières) pour l’IF.
Pour déterminer les risques physiques associés à cette opération, l’IF doit évaluer la probabilité d’une sécheresse (aléa), la mesure dans laquelle les activités génératrices de revenus et les actifs de l’emprunteur, tels que les terres, la machinerie et les cultures, se trouvent dans la région touchée par la sécheresse (exposition), et le degré de vulnérabilité des actifs et des activités de l’emprunteur (cultures, pratiques agricoles, etc.) aux conditions de sécheresse. La vulnérabilité repose à la fois sur la sensibilité à l’aléa (comme la résistance d’une culture à la sécheresse) et sur la capacité de l’emprunteur à prévenir l’aléa, à y répondre et à s’en remettre (capacité d’adaptation). Une telle évaluation aiderait l’IF à prendre en compte les risques physiques dans sa planification financière et à prévoir des mesures adéquates d’atténuation des risques.
Figure 2 (image disponible en anglais seulement) : Décomposition du risque climatique physique. Source : Adaptation and Resilience Investors Collaborative. (2024). Figure modifiée de l’évaluation et de la gestion des risques physiques liés au climat. Extrait du ARIC Physical Climate Risk Playbook (p. 6) basé sur le cinquième et le sixième rapports d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Initiative financière du programme des Nations unies pour l’environnement.
Comment FinDev Canada évalue-t-elle les risques physiques?
À FinDev Canada, l’action pour le climat et la nature, l’un de nos trois objectifs d’impact sur le développement, est au cœur de notre mandat. En 2021, nous avons lancé notre première stratégie sur les changements climatiques, qui reconnaît l’importance des risques climatiques dans nos activités. Puis, en 2022, nous avons défini notre méthode d’évaluation des risques physiques liés au climat, en nous appuyant sur notre travail avec l’ARIC.
Nous appliquons une optique climatique à toutes les occasions de financement et d’investissement et traitons les risques climatiques – tant les risques physiques que ceux liés à la transition – comme des risques financiers. Le risque de transition, associé au passage à une économie sobre en carbone, est faible pour notre portefeuille. Puisque nous exerçons nos activités dans des régions très vulnérables aux impacts climatiques (Indo-Pacifique, Amérique latine et Caraïbes, et Afrique subsaharienne), il est particulièrement important pour nous de détecter et de gérer les risques physiques liés à nos activités.
Évaluer chaque transaction
Nous évaluons les risques physiques (et de transition) de chaque nouvelle transaction au cours des phases d’évaluation préalable et de diligence raisonnable. Sur la base des aléas, de l’exposition et de la vulnérabilité, nous considérons les risques inhérents (liés à la localisation et aux activités de l’entreprise cliente) et les risques résiduels (liés à la capacité de gestion des risques de l’entreprise cliente). En 2022, cette approche nous a permis d’évaluer les risques physiques de toutes les nouvelles transactions directes (financement d’entreprises et de projets), et c’est le cas pour toutes les nouvelles transactions depuis 2023.
Aborder différemment les investissements directs et indirects
Pour les investissements directs, notamment ceux dans des installations d’énergie renouvelable, les risques physiques sont évalués au niveau de l’actif en fonction de l’emplacement des installations (un actif) ou de la concentration régionale des actifs. Nous évaluons les risques actuels et futurs selon la probabilité des aléas actuels et futurs, l’exposition et la sensibilité aux aléas, ainsi que la capacité d’adaptation globale.
Dans le cas des investissements indirects, notamment dans des fonds et des intermédiaires financiers, notre approche est un peu différente. Sur la base des données disponibles, nous évaluons alors les risques physiques au niveau national, en tenant compte des principaux pays et secteurs d’activité des clients.
Exploiter les ressources facilement disponibles
Pour évaluer le risque inhérent, nous utilisons des outils librement accessibles et conviviaux, par exemple ThinkHazard, ND-GAIN et Climatelinks pour les profils de risque au niveau infranational, national et régional, et SASB pour la sensibilité aux risques de différents secteurs. Des bases de données ouvertes comme Impact Lab, Aqueduct Water Risk Atlas, Climate Central Coast Risk Screening Tool, NOAA Hurricane Tracker et Global Wildfire Information System (GWIS) nous aident à évaluer des risques précis.
Ces risques évalués sont systématiquement documentés et traités comme des risques de crédit dans la prise de décision d’investissement. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos clients pour combler les lacunes décelées au niveau de la gestion des risques physiques, notamment par le biais de plans d’action environnementaux et sociaux (PAES) et de notre menu d’assistance technique (AT) Action pour le climat et la nature. Ce menu propose une série d’interventions pour aider nos clients à respecter leurs engagements en matière d’action sur le climat et la nature, y compris des moyens de détecter et de gérer les risques physiques liés au climat.
Quelles sont les prochaines étapes?
Comme tous les autres intervenants dans le domaine, nous peaufinons notre façon d’évaluer les risques climatiques. Nous envisageons notamment d’évaluer quantitativement l’impact financier des risques physiques dans le cadre de notre évaluation du risque de crédit. Dans les rapports actuels conformes aux normes du GIFCC, les données quantitatives sont plus facilement disponibles pour les risques de transition que pour les risques physiques, qui sont généralement abordés en termes qualitatifs.
Pour quantifier les conséquences financières des risques physiques liés au climat, il faut utiliser des scénarios socioéconomiques et climatiques prospectifs complexes. Prévoir les effets à long terme des changements climatiques comporte aussi une grande part d’incertitude, ce qui rend difficile la quantification précise des risques et leur prise en compte dans la planification et les rapports financiers1. Il s’agit donc d’un chemin difficile, mais pas impraticable.
Notre meilleure compréhension des conséquences financières des risques climatiques physiques renforce la nécessité d’une action soutenue. La collaboration avec les autres IFD, les banques multilatérales de développement et d’autres partenaires de l’écosystème du climat est indispensable pour faire évoluer les méthodes et les normes d’évaluation des risques climatiques, et pour assurer l’adoption plus généralisée de ces pratiques à l’échelle du secteur.